17/07/2018

Qu’est-ce qu’une eau potable aujourd’hui ?

Les normes sur l’eau doivent reposer sur les connaissances scientifiques actuelles

Une eau potable plus salubre pour tous les Européens. Dans son communiqué du 1er février 2018 intitulé "Une eau potable plus salubre pour tous les Européens", la Commission européenne (CE) annonce la révision de la directive européenne EDCH (Eaux destinées à la consommation humaine). Elle affirme que "la plupart des habitants de l'Union bénéficient d'un très bon accès à une eau potable de haute qualité" et que la politique de l’Union européenne repose notamment sur le principe fondamental suivant : "garantir que la qualité de l'eau potable soit contrôlée selon des normes établies en fonction des preuves scientifiques les plus récentes". Or ni la législation actuelle, ni la proposition de réforme ne prennent en compte les perturbateurs endocriniens (PE), que ce soit en totalité ou a minima par famille. La notion de perturbateur endocrinien (PE) a été élaborée en juillet 1991 (Déclaration de Wingspread). Le mode d’action des PE bouleverse le concept classique de la toxicologie (la dose fait le poison). Il a été codifié par l’Endocrine Society en 5 points : 1. Effets plus importants pendant des périodes sensibles (grossesse-petite enfance) ; 2. Effets plus marqués aux faibles doses qu’aux fortes doses ; 3. Effet cocktail ; 4. Temps de latence entre exposition et survenue de l’effet ; 5. Effet transgénérationnel. Le rapport de trois inspections générales (santé, développement durable et agriculture) sur la Stratégie nationale Perturbateurs endocriniens (SNPE) paru en février 2018, préconisait en conséquence de "réviser les normes sanitaires élaborées sur la base du paradigme classique de la toxicologie afin de prendre en compte les spécificités d’action des PE".

La Commission européenne doit écouter le point de vue de son centre de recherche. La CE a décidé d’inclure trois perturbateurs endocriniens, mais comme le souligne en mars 2018 le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ces PE ne peuvent constituer des  "éléments de référence", car "la diversité des molécules à effets PE est très variable et ne cesse de croître et il n’existe pas de molécules indicatrices de cette diversité"De son côté, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) ne dit pas autre chose fin mai 2018 en indiquant que les trois PE "choisis" ne sont pas représentatifs de tous les effets PE, mais uniquement des effets œstrogéniques, alors que d’autres types d’effet PE existent (androgènes, thyroïdiens…).  Ce choix très restrictif repose sur une vision dépassée du risque toxique. La CE ignore délibérément le rapport du Joint Research Center, centre de recherche de l’UE, publié en 2014.  Ce rapport est cosigné par 38 chercheurs de 15 centres de recherche ayant testé des mélanges de 14 et 19 substances sur 35 tests biologiques. La conclusion est très claire : il y a "un besoin urgent de réviser les outils et les paradigmes utilisés pour évaluer les substances chimiques dans l’environnement". Le rapport préconise une refonte de la réglementation en matière d’eau, en passant d’une approche substance par substance à une approche globale par indicateur biologique. Le JRC a de nouveau pris position en juin dernier, en déclarant que "l’exposition combinée à de multiples produits chimiques peut entraîner des effets sur la santé et l’environnement, même si les substances contenues dans le mélanges ne dépassent pas les niveaux de sécurité. L'évaluation et la gestion des mélanges ne sont que partiellement couvertes par la législation actuelle, qui se concentre sur des substances individuelles dans des secteurs isolés". L’avis de l’ANSES va dans le même sens : "il serait utile d’effectuer une détection quantitative des effets PE dans les ressources en eau d’origine superficielle ou souterraines […] servant à la production d’EDCH, basée non pas sur la recherche des molécules spécifiques mais sur la mesure des effets. Cette détection pourrait être réalisée à l’aide d’un ou plusieurs tests biologiques et/ou biochimiques utilisant une approche in vitro et/ou in vivo".

Nitrates et Pesticides: les normes sont obsolètes ! Deux exemples emblématiques illustrent la nécessité d’avoir des normes basées sur les connaissances scientifiques actuelles. Pour les nitrates, la valeur-limite de 50 mg/L d’eau, est fondée sur un effet sanitaire devenu rare, la méthémoglobinémie chez les nourrissons, alors qu’il est clairement démontré aujourd’hui que les nitrates sont aussi des perturbateurs des hormones thyroïdiennes agissant en effet cocktail avec les perchlorates et les thiocyanates. De nombreuses études mettent en évidence la relation entre cette contamination et troubles du développement. Pour les pesticides, la valeur-limite 0,10 µg/L par pesticide et 0,5 µg/l pour la somme, reste inchangée, alors que l’ANSES rappelle que "la limite de qualité de de 0,10 µg/L dans les EDCH n’est pas fondée sur une approche toxicologique et n’a pas de fondement sanitaire mais a été fixée dans un objectif de protection de la ressource". De multiples exemples montrent un effet cocktail des pesticides, non seulement entre eux, mais avec d’autres perturbateurs endocriniens (bisphénol A, phtalates).

En tant que mouvement citoyen responsable, le RES contribue au débat. Le Réseau Environnement Santé (RES) a organisé un colloque "Perturbateurs endocriniens, Eau et Santé : quelles normes pour demain ?" le 20 mars 2018, qui a rassemblé un grand nombre de chercheurs français travaillant sur le domaine des PE dans l’eau et qui s’inscrit de fait dans le contexte de la révision de la directive. La conclusion qui se dégage est qu’il faut rompre avec la vision dépassée de considérer la pollution chimique substance par substance et qu’il est impératif de mettre en place les solutions de remplacement validées (test biologique et/ou biochimique), ainsi que l’importance de l’interdisciplinarité visant à intégrer exposition-identité-mécanisme-effets. Aussi les préconisations du RES concernant la révision de la directive 98/83/CE sont-elles :

  • Des normes concernant la qualité de l'eau potable établies à partir de la littérature scientifique validée la plus récente et homogènes entre les préoccupations sanitaires et environnementales ;
  • Le contrôle de la qualité de l’eau fondé plutôt sur des bio-essais, capables de mesurer les effets de l’ensemble des substances actives sur le système endocrinien ;
  • L’interdiction du BPA dans tous les contenants alimentaires y compris les bonbonnes d’eau, et dans les réseaux, conformément à la loi sur le BPA en France (n°2012-1442 du 24 décembre 2012) ;
  • Le soutien à la recommandation du HCSP concernant le contrôle de la qualité des matériaux en contact avec l’eau (y compris l’harmonisation des méthodes d’évaluation), notamment certains métaux et plastiques, comme les réseaux intérieurs et les eaux minérales naturelles ;
  • L'information transparente envers le consommateur, concernant les incertitudes (variabilité des mesures, des interprétations, …) versus les dangers avérés (absence de doute), ainsi que sur différents produits "sensibles",dans l’opinion publique : aluminium, microplastiques, nanomatériaux…

Réseau Environnement Santé